Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/291

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d’Héloïse et d’Abailard. Eh bien ! il n’y a que la Philosophie, avec l’influence sensualiste qu’elle tient du XVIIIe siècle, qui puisse faire cette apothéose. Nous avons noté plus haut l’erreur de l’Imagination populaire, dupe, par sympathie pour des douleurs qu’il serait plus brave de mépriser, et cette erreur, nous l’avons excusée en la comprenant. Mais il n’y a que la Philosophie qui, après y avoir regardé avec attention, puisse se passionner d’enthousiasme pour un homme comme Abailard et pour une femme comme Héloïse. Il n’y a que la Philosophie, la victime habituelle des idées fausses, qui puisse être victime à ce point des sentiments faux et qui soit destinée à confondre l’affection et la mauvaise rhétorique avec l’expression des cœurs vrais !

Et pourtant ce serait à elle, la Philosphie, si on croyait ses prétentions à l’indépendance, à l’acuité de l’observation, au sentiment de la réalité en toutes choses, ce serait à elle plus qu’à personne à toucher le préjugé populaire pour le détruire et le diminuer, à entreprendre et à parachever cette étude hardie du cœur humain, cette dissection sur le vif par la réflexion, comme disait Rivarol, dans laquelle le scalpel immatériel, plus heureux que le scalpel qui fouille nos cadavres, trouve toujours où plonger et où interroger en des sentiments immortalisés par les hasards ou par les justices de l’Histoire ! Évidemment, pour l’honneur de la Philosophie, ce serait à elle bien plus qu’à nous de faire tout cela ! Mais que voulez-vous ? La Philosophie ne saurait aller contre les lois qui régissent sa propre nature. Or, l’une de ces lois, c’est de s’adorer dans ses œuvres et, comme le hibou de la Fable,