Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/446

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Parler des hommes et des choses d’une époque, avec cette politesse qui est l’uniforme des hommes d’État, et un uniforme qui ne cache pas une bravoure, avec ce respect des faits accomplis qui est le caractère de l’école dont M. de Rémusat est sorti, n’est pas plus comprendre cette époque que toucher un objet avec l’extrémité des doigts n’est le saisir et le soulever !

Saint Anselme vivait dans un temps où le catholicisme n’était plus seulement un ensemble de nobles et pieuses aspirations vers le bien et vers le ciel. Hildebrand ou Grégoire VII (car il est si grand, cet homme, que la gloire le connaît sous tous ses noms) avait fait du catholicisme le plus organisé des gouvernements. Du temps d’Anselme également, les Croisades avaient opéré le rapprochement des tendances religieuses de l’Europe et de son premier intérêt terrestre. Grâce à cette théocratie, que M. de Rémusat condamne dans son livre par la raison très philosophique que l’opinion de l’Europe moderne, qui a la tête déformée par les philosophes, lui est, en ce moment, hostile, l’influence du monde chrétien avait pris le monde musulman et pénétré l’Asie et l’Afrique. C’étaient là des faits prodigieux ! Une individualité aussi élevée que celle de saint Anselme devait se rattacher à ces faits, et elle s’y rattachait non pas en vertu de son génie qui l’antidatait de plusieurs siècles, mais en vertu de ses vertus. Saint Anselme était lié au grand et décisif mouvement du progrès catholique, par ce qui se nomme, entre chrétiens, la sainte vertu de l’obéissance. Chassé de son palais épiscopal, dans les troubles religieux et politiques de son pays, saint Anselme ne se consola pas