Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/128

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de la honte à avoir, qu’elle s’en faisait une pudeur ! Cette honte-là, elle est à bien des places dans ces Poésies de Joseph Delorme.

La grâce, la grâce, qu’on aime peut-être mieux dans la laideur que dans la beauté, parce qu’étant toute seule, on l’y voit mieux, Joseph Delorme l’a dans ce contraste suprême, comme il a l’ardeur de la passion dans l’impuissance, et rappelle-t-il parfois, cet énervé du rêve moderne, l’eunuque des Lettres persanes, dont l’indigence avive le désir.

En inventant son Joseph Delorme, M. Sainte-Beuve a été le Geoffroy Saint-Hilaire d’une vraie tératologie poétique, avant que M. Saint-Hilaire songeât à la sienne. Joseph Delorme est un monstre qui a vécu, non pas seulement parmi nous, mais bien dans chacun de nous. Produit d’une société qui a ses misères à côté de ses grandeurs et ses vices intellectuels à coté de ses vertus sensibles.

Jamais le mal moderne n’a eu, pour le peindre, une expression de ce hâve, de ce fiévreux — de cette transe ! Je ne crois pas qu’il soit possible de l’oublier et que les générations futures, fussent-elles plus saines que nous, puissent se soustraire à l’impression de cette poésie, qui leur apprendra ce qu’un jour aura été l’âme de leurs pères !