Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/132

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à autre que tout le poison, dont on se croyait débarrassé, n’était pas encore sorti !

Et heureusement il ne l’était pas ! Heureusement il roulait encore dans la veine du poète quelques gouttelettes de ce poison qui avait donné à sa poésie quelque chose de si caractéristiquement ulcéré. Ça et là, en effet, on en retrouve la brûlante amertume dans plusieurs de ces pièces posthumes d’un Joseph Delorme qui se survit ; par exemple, dans celle où le poète ne s’est jamais mieux peint, parce qu’il veut qu’on le regrette, et où il a le sentiment si violent d’une laideur — qu’il a bien tort d’accuser, car elle est sa beauté, à lui !

Savez-vous ce que fut celui que nous pleurons ?

Savez-vous ses ennuis, tous ses secrets affronts ?

Tout ce qu’il épanchait de bile amère et lente ?

Que ce marais stagnant avait l’onde brûlante ?

Que cet ombrage obscur et plus noir qu’un cyprès

Donnait un lourd vertige à qui dormait trop près ? …

Savez-vous de quels soins, de quelle molle adresse

Vous auriez dû nourrir et bercer sa tendresse,

Que même, entre deux bras croisés contre son cœur,

Il eût aimé peut-être à troubler son bonheur,

Et ce qu’il eût fallu de baisers et de larmes ? …

Et savez-vous aussi, vous, brillante de charmes,

Que ce jeune homme, objet de vos tardifs aveux,

N’était pas un amant aux longs et noirs cheveux,

Au noble front rêveur, à la marche assurée ?

Qu’il n’avait ni cils blonds, ni prunelle azurée,

Ni l’accent qui séduit, ni l’œil demi-voilé ?

Pourtant, vous l’avez dit : Je l’aurais consolé !

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Ainsi dans L’Invocation, qui est l’impuissance d’un