Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/233

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Malassis, un dauphin qui connaît le Pirée, et qui, quand il s’agira d’éditer, ne prendra point des singes pour des hommes comme le maladroit de la mer Égée, a eu l’heureuse idée de donner, du fond de sa province, à la librairie parisienne, un exemple qui est une leçon. Avec son volume d’aujourd’hui, il a prouvé que la notion des livres bien faits existait encore dans certains esprits, malgré le train et l’effacé du siècle, et que l’éditeur, après l’écrivain, après le poète, pouvait être un habile artiste à son tour.

Nulle démonstration ne vint plus à temps. Nulle protestation ne fut mieux placée que celle-ci contre l’Industrialisme grossier dont les livres et ceux qui les aiment sont victimes. L’ignominie de la main-d’œuvre actuelle, en matière de livres, n’a d’égale que l’ignominie de la spéculation qui les produit et qui les lance. Otez quelques volumes de Techener et de Didot, et la bibliothèque elzévirienne de M. Jannet, —lequel, par parenthèse, respecte sa fonction d’éditeur et la fait respecter, — nous n’avons guère, en fait de livres, que des choses laides et fragiles, contre lesquelles la Critique, au nom même de l’esprit, doit s’élever avec vigilance. Quand donc elle trouve sur son chemin, comme aujourd’hui, un livre qui sort par le relief, le mordant, la qualité, la solidité, le brochage vrai, la correction experte de la triste production contemporaine, elle en donne acte, avant de passer outre, à l’éditeur qui se permet cette nouveauté, ne dût-il être imité par personne dans ce temps d’extinction générale, de bon marché et d’égalité dans la misère !