Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/273

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sa versification, que lui reste-t-il ? Il pense assez peu, — peint encore moins, — mais il versifie, et, parce qu’il n’a pas les arabesques affectées ou les enfantillages malades de M. Théodore de Banville, il est des gens qui vous disent sérieusement que le vers de M. Autran est un vers bien fait, comme si la sécheresse était la sobriété ; comme si, pour être bien fait, le vers, comme l’homme, ne devait pas avoir du muscle et de souples articulations ! C’est par là, en effet, — c’est par les attaches, les articulations, la grâce des mouvements, — et il n’y a jamais de force sans grâce, — que pèche le vers de M. Autran, malgré l’effort visible du poète pour en travailler, sinon pour en remplir le vide.

M. Joseph Autran est le contraire d’Alfred de Musset, de cet incorrect aussi, mais de cet incorrect facile et charmant, qui joue et pleure avec la Muse, comme un souverain d’enfant gâté qu’elle adore M. Autran n’est pas un gamin de génie, lui ; c’est un homme, je ne dis pas d’inspiration, mais de volonté grave et élevée, et c’est bien cela ! ajustant le mieux qu’il peut les incorrections d’un style poétique sans puissance à une pensée dont nous ne contestons pas la moralité, mais dont nous contestons la grandeur. Les sujets de ses poëmes étonnent quand on pense à leur exécution. Il taille cette fonte avec un chalumeau de bijoutier. Il est mince et à la fois lourd, rareté qui n’est pas une merveille. Il sue pour être léger. Quand il est naïf, la naïveté du fond est compromise par la forme. Dans le moindre canevas (ses Soldats ne sont qu’un poème de quelques pages), il entasse deux cents tours de force qui ne sont pas