Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/41

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songeur (il s’appelle ainsi lui-même), plisse un peu plus fort son grand front vide et ajoute :

Ne réfléchis-tu pas lorsque tu vois ton ombre ?

S’il réfléchissait chaque fois qu’il voit la sienne, laquelle est, comme on vient d’en juger, d’une assez belle épaisseur, ne s’arrêterait-il point dans la construction laborieuse de tous ces abominables non-sens ?

D’où vient-elle ? de toi (évidemment ! ) de ta chair, du limon,

De ce corps qui, créé par ta faute première,

Ayant rejeté Dieu, résiste à la lumière.

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Nul simulacre obscur ne suit l’être arômal.

Homme, tout ce qui fait de l’ombre a fait le mal !

Et, comme il est toujours fort gai, quand il ne le croit pas, il ajoute :

Faisons un pas de plus dans ces choses profondes !

Homme, tu veux, tu fais, tu construis et tu fondes,

Et tu dis : Je suis seul, CAR je suis le penseur !

L’univers n’a que moi dans sa morne épaisseur.

En deçà, c’est la nuit ; au delà, c’est le rêve.

l’idéal est un œil que la science crève !

C’est moi qui suis la fin et qui suis le sommet.

Voyons ! observes-tu le bœuf qui se soumet ?

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Interroges-tu l’ombre, et, quand tu vois des arbres,

Parles-tu quelquefois à ces religieux ? … (les arbres).

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Donc la matière pend à l’idéal et tire

L’esprit vers l’animal, l’ange vers le satyre ;