Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où se trouvent de ces vers jaillis comme l’eau, d’une source, et quoi que deviennent les littératures décadentes qui se tordent dans leur convulsive agonie, éternellement limpides, jaillissants et frais :

Oh ! que le son du cor est triste au fond du bois !

Mais, il faut le dire, dans ces divers poèmes, M. de Vigny ne fut ni plus brillant ou plus profond d’inspiration, ni plus savant ou plus inattendu de forme que les illustres Renaissants de 1830. Quand à cette époque le grand mouvement romantique se produisit, M. de Vigny fut au premier rang du bataillon sacré, mais il ressembla à ces généraux de l’ancien régime qui servaient comme simples soldats dans l’armée de Condé avec leurs épaulettes de généraux. Et de fait, avant l’avènement des nouvelles idées et des formes nouvelles d’alors, il avait, lui — et depuis dix ans ! — toute la perfection et toute la rondeur d’un génie, qui se soutint dans l’outre mer de son ciel, mais dont l’orbe pur s’échancra… Nulle part, en Europe, ni en Angleterre, où ils avaient Coleridge, ni en Allemagne, où ils avaient eu Klopstock, le peintre aussi de la Pitié chrétienne, il n’y avait un poète de ce rayon de lune sur le gazon bleuâtre, un poète de la tristesse et la chaste langueur du poète d’Eloa. M. de Vigny avait résolu le problème éternel manqué par tous les poètes, d’être pur et de ne pas être froid. On avait chaud sous sa toison d’hermine. Les larmes aussi sont blanches et elles brûlent, et quand elles coulent sur des joues fraîches, elles s’irisent de leur fraîcheur. Voilà la poésie de M. de Vigny. A elle seule elle fut tout le