Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/100

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On a dit tout cela, et si tard qu’on l’ait dit, on avait droit de le dire, mais non de s’en étonner comme si on tombait de la lune (il est des gens qui en tombent toujours) ! Seulement, on a oublié la seule chose définitivement acquise, ou plutôt définitivement conquise par Hugo, le seul grand progrès fait par le poète malgré l’immobilité ou le rabâchage de sa pensée, je veux dire l’art des vers arrivé probablement à sa perfection, la souveraineté absolue de l’instrumentiste sur son instrument, —et cet oubli de la Critique, c’est moi qui veux le réparer !

Rien de pareil, en effet, ne s’est vu dans la langue française, et même dans la langue française de Hugo. Quand Hugo écrivait les Djins ou Sarah la Baigneuse, par exemple, et forçait le rythme, ce rebelle, à se plier àses caprices, — qui étaient des conquêtes sur lalangue elle-même, — il y avait encore en ces assouplissements merveilleux, sinon l’effort de la force, au moins le triomphe d’une résistance ; il n’y avait pas l’aisance, l’aisance suprême que voici, et qui est si grande que le poète ne parait même pas triompher. Ce n’est plus de l’asservissement, cela, c’estde l’enchantement ! Toutce que n’est pas Hugo par la pensée, par l’image, par le mot, il l’est par le rythme, mais parle rythme seul. Lui, le tendu, l’ambitieux, le Crotoniate fendeur de chêne et qui y reste pris, a dans le rythme la grâce vraie et jusqu’à la langueur. Il nage dans son vers comme le poisson dans l’eau. C’est son élément, mais