Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/106

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un éléphant auquel il n’atteindra jamais. Seulement, sur le chemin de l’énorme où il s’élance avec l’aveuglement d’un taureau fou, quelquefois — les bons jours pour ses qualités toutes-puissantes, quand elles parviennent à s’équilibrer, — il rencontre tout à coup le grandiose, et alors il devient le poète énorme encore, mais sans difformité, qui pouvait seul donner à la France ce poème épique qu’elle n’a pas, et dont elle s’est toujours moquée parce qu’il lui a toujours manqué.

Oui ! un poème épique… Être le poète épique de la France, telle était pour moi, et j’y reviens malgré moi, la vraie destinée de Victor Hugo I et dès longtemps je voulus le rappeler à cette haute destinée. Ses passions, je le sais, ses préoccupations, mille choses du moment, ce badaud ! le détournaient de ce qui aurait dû être le but resplendissant de ses derniers jours et le couronnement immortel desavie. La Critique, qui, pour être féconde, doit rappeler aux hommes leurs devoirs envers leurs propres facultés au lieu de répéter cent fois les mêmes reproches à un talent qui tombe dans les mêmes trous, — mettons que ce soient des abîmes, — devait rappeler à Victor Hugo le respect qu’il devait à son génie. Il ne s’agissait pas de caprices, là, fussent-ils énormes ; il ne s’agissait pas de bucoliques et de madrigaux à charger un mulet d’Espagne ; il ne s’agissait pas d’amourettes posthumes, de libertinage d’impuissant dans une langue qui détonne sur tout cela ; il ne s’agissait