Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/129

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une âme, quand Voltaire n’a que de l’esprit. C’est un Gœthe, sans l’ennui de Gœthe, le Jupiter Olympien de l’ennui solennel et suprême, qui l’a fait tomber cinquante ans comme une pluie d’or sur l’Allemagne ; sur l’Allemagne, cette Danaé de l’ennui heureuse, qui se j etait par terre pour le ramasser ! C’est un Hoffmann sans fumée de pipe, un Hoffmann qui met son fantastique dans le bleu le plus pur, dans les clai rs de lune les plus blancs et les plus veloutés. C’est un Schiller idéal, moins l’odieuse philanthropaillerie. Et c’est enfin, pour trancher vivement sur tout cela, sur tous ces prismes qui composent son prisme, un Rivarol de métaphysique pittoresque, mais bien plus complet et bien plus étonnant que Rivarol.

En effet, arrêtons-nous ici. Une des originalités les plus singulières de Henri Heine, qui en a plusieurs, c’est la compréhension philosophique. Poète, c’est-àdire tout le contraire d’un philosophe, il se joue dans la philosophie comme le dauphin dans la mer. Quelquefois (il a été kantien, hégélien, spinosiste), quelquefois il a porté, d’admiration, un philosophe sur son dos, comme le dauphin, de méprise, y portait un singe. Mais, commele dauphin, il l’a toujours replongé, en riant, dans la mer… Lisez son livre de l’Allemagne ! Vous serez étonné. C’est merveilleux d’appropriation et d entente. Jamais personne n’a eu, comme Heine, de ces façons spirituelles, imagées, poétiques, cavalières et impertinentes d’entrer dans la philosophie et… d’en