Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/14

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frappée par la grammaire, — la grammaire sèche, polie, aiguisée comme une hache. Malherbe, que d’aucuns ont appelé Richelieu, mais que, moi, j’appelle Robespierre, avait tué Ronsard. Il lui avait très proprement coupé la tête. Mais la tête coupée a fait mieux que de marcher, comme saint Denis avec la sienne ; elle a rendu le coup et elle a tranché celle de son bourreau. En définitive, c’est Ronsard, qui, après son trépas, est sorti de sa tombe pour enterrer Malherbe, et qui l’a enterré :

A quatre pas d’ici, je te le fais savoir !

C’est Ronsard, le paterfamilias du Romantisme moderne, qui a été l’homme de l’avenir, devenu le présent à cette heure. Ronsard, — sa biographie nous l’apprend (mais n’avions-nous pas oublié jusqu’à sa biographie ? ), — Ronsard, le gentilhomme vendômois, était un Hongrois d’origine. C’est un descendant d’Attila, et il s’est rencontré que nous lui avons fait une Résurrection comme on faisait à ses aïeux des funérailles. Chez les Hongrois et chez leurs ancêtres les Huns, on avait pour coutume d’égorger les esclaves ennemis sur les tombes entr’ouvertes… Sur la tombe vidée de Ronsard montant tout à coup dans l’assomption de sa gloire, nous ne nous sommes pas contentés de Malherbe, nous avons égorgé Boileau.

Et le massacre dure encore… Mais après Boileau, fussent-ce Ponsard, Viennet et tous les autres, les cuistres qui viennent ne comptent pas !