Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/16

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Il faut voir ce qui est, forcément. Il faut mesurer la rondeur de la sphère. Il faut se rendre compte de l’astre et de son immobile fixité… Ronsard, le Ressuscité de 1830, est peut-être la seule chose de 1830 qui soit encore debout comme elle s’y mit quand il ressuscita. Le lion s’agrafe bien de ses griffes ! Des rois, eux, qui n’étaient pas des lions, se sont fait chasser comme des pleutres ; mais Ronsard, le poète, n’a pas lâché de l’épaisseur d’un ongle le monde qu’il a reconquis. Trente-sept ans avaient coulé comme l’eau sur une pente (1), et, dans ce monde prosaïsé, Ronsard régnait toujours sur ce qui restait de poètes vieillis et sur les facultés plus ou moins poétiques qui déjà alors jouaient au poète. Et non seulement il régnait sur eux et sur elles légitimement, de par les qualités de son génie, mais illégitimement aussi, de par les abus de ce même génie ; ce qui, dans notre monde en chûte, est la grande et fatale manière de régner !

Et, en effet, prenez-les tous, les poètes de 1830, de cette époque de rénovation et de renaissance, et regardez si tous n’ont pas pour géniteur suprême le grand poète de la première, qui ne fut pas (comme ou le dit) qu’une Renaissance, mais (j’y reviendrai tout à l’heure) qui fut une Naissance aussi. Prenez-les tous ! même Lamartine, le Virgile chrétien, qui, tout

1. L’édition Blanchemain est de 1867.