Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/216

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envieux, même les théories. Avec la largeur et l’élévation de son bon sens, M. de Guerie ne doit évidemment se fier ni à la théorie représentative, qui fait des grands hommes la représentation des petits, —de sorte qu’on peut se demander, dans cette théorie, combien de sots il faut pour faire un homme de génie, comme on se l’est déjà demandé pour faire un public, — ni non plus à cette théorie des milieux, ramassée partout, car elle triomphe partout, et que M. Taine, à force de la pousser et de l’exagérer, semble avoir prise à son compte. Non ! En racontant la vie de Milton, c’est Milton — et pas plus — que M. de Guerie a prétendu nous donner ; c’est cette toute-puissante unité humaine qui s’appelle Milton, et qu’il compare, dans sa préface, non sans éloquence, au chêne tordu et dépouillé qui s’élève seul sur une colline aride et désolée, dans le plus saisissant des paysages de Ruysdaèl.

Il n’arrangera donc pas, soyez-en bien sûrs ! il n’organisera donc pas à froid de soi-disant influences qui auraient agi sur le génie de Milton. C’est la vie pour la vie de Milton qu’il va nous dire, la vie pour la vie et pour son détail, — et non pour faire de cette vie la cause du talent de Milton et pour retrouver dans son talent l’empreinte de cette vie tout entière. Quand il arrivera à l’examen du Paradis perdu, Une mettra pas, bon gré mal gré et de force, et en faussant tout autour de soi pour l’expliquer, toute l’Angleterre politique et sociale du temps de Milton dans ce