Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/22

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fait des chansons comme il a fait de tout en poésie, ne révèle encore son inévitable grandeur.

Et cette grandeur n’est pas solitaire dans Ronsard ; elle y est accompagnée de la pompe d’imagination qui est l’attribut de toute jeunesse et de tout génie créateur dans la montée de son matin. Rien, sinon l’édition que voici, ne pourrait donner une idée de la magnificence el de la profusion de Ronsard. S’il est l’Adam de la poésie française, ses poésies, à lui, en sont le Paradis terrestre. C’est une forêt coupée de fleuves :

Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !

une forêt vierge et immense, qu’il faut bien prendre comme elle a poussé, et dans laquelle se trouvent même d’énormes broussailles, en rapport, du reste, avec la toute-puissance de la végétation et la pyramidalité des cimes. Quand on lit ces vers d’un caractère si vivement, si surabondamment plastique, on est tenté de voir dans Ronsard un Rubens littéraire, sinon dans toute l’exécution de son œuvre, au moins dans la richesse de sa palette et l’exubérance de son dessin. Quant à moi, j’oserai l’affirmer, le poète qui nous a fait pour la première fois en français de la grande poésie pittoresque, — dans des odes-poèmes qui ont leurs strophes, leurs anti-strophes, leurs épodes, leurs chœurs, leurs groupes mythologiques, — le tout-puissant descripteur des trente-neuf strophes, de douze vers