Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/221

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partie de sa vie. L’instinct voyageur d’oiseau marin qui est dans tout Anglais, mais qui n’y dort pas, le fit aller un jour en Italie ; mais cet Oswald anticipé, plus sévère que celui du roman, n’y rencontra pas de Corinne. Le futur peintre d’Ève, la céleste et fragile mère du genre humain dans sa fleur, ce Corrège de suavité amoureuse, rigidifié et durci par le puritanisme, on ne lui connut jamais d’amour. Ses passions furent toujours austères, quand il en eut, et il les dompta. Le calme d’une âme forte tomba bientôt sur elles. Marié trois fois successivement, il fut malheureux par sa première femme qui l’abandonna, et les deux autres ne lui constituèrent que le vulgaire bonheur du pot au feu et des chemises reprisées. Ses filles, méchantes pour lui, excepté la dernière, rechignaient, quand il fut aveugle, à lui faire des lectures savantes dans des livres qu’elles ne comprenaient pas. Toujours pédagogue, il leur avait assez égoïstement appris à prononcer des mots comme des perroquets, et cela est dur, même pour des femmes. On conçoit presque l’humeur qu’elles prenaient dans le service de sa cécité sourcilleuse, et qu’elles dûrent plus d’une fois, ces filles d’aveugle, quand elles lui faisaient des lectures dans des livres sans lumière pour elles, envier le guide mendiant de celui du village, sous la haie d’aubépine, au soleil… Sombrement dévoué à Cronrwell, l’homme de plume de la république, Milton n’eut, dans sa vie de devoirs et de fonctions