Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/233

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dans sa chambre, il restait du moins au foyer domestique, au milieu des siens. C’était un génie sédentaire. Il n’était pas, de tempérament, un coureur d’aventures et de mers lointaines, comme le Camoëns ou Byron. Il ne quitte guères son logis de Rouen que pour celui de Paris, où il vint tard, quand il fut de l’Académie. Je suis intimement convaincu qu’il avait en lui la racine de toutes les poésies, mais il fut plus spécialement entraîné vers la poésie dramatique et l’étude de la nature humaine, et pour creuser dans cette poésie-là et dans cette étude, il n’avait pas besoin de l’émotion de ces voyages qui furent peut-être nécessaires au génie du poète de la Luisiade et du chantre de Childe Harold. Milton, aveugle et pauvre comme Corneille, moins heureux par ses filles, qui furent mauvaises, paraît-il, comme nous venons de le dire au chapitre précédent, que Corneille par ses enfants, vécut la dernière partie de sa vie entre l’orgue dont il jouait et la Bible qu’on lui lisait. Mais cet Illuminé intérieur, ce Visionnaire du Paradis perdu, avait voyagé dans sa jeunesse, et il avait remporté dans ses souvenirs le ciel et le soleil de l’Italie pour en éclairer sa cécité et ses vers… Corneille n’avait besoin d’aucun soleil pour être le poète qu’il a été. Son soleil, c’était le cœur de l’homme. Une relevait point de l’espace, mais du temps. Les six pieds de terre qui suffisent à la mort suffirent à sa vie, et il fut aussi grand dans ces six pieds de terre que s’il avait traîné son génie, pour le développer,