Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/258

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nous l’annonce, à nous autres, gens du couchant. Et le titre de son livre manque même de netteté et ne dit pas bien sa pensée : car des Réveils supposent qu’on n’a pas toujours dormi, et l’idée qui plane sur les poésies de Pichat, c’est qu’Épiménide de six mille ans le monde a dormi depuis sa naissance, et qu’il s’éveille enfin au xixe siècle ! ! Idée chimérique et fausse, et risible même, qui n’est pas, elle, éveillée, comme le monde selon Pichat, de ce matin, puisqu’elle traîne partout dans tous les livres modernes, où, fat pour le compte de son temps, Pichat l’a ramassée. Les poètes sont capables de tout ! — Le croiriez-vous ? C’est dans cette vieille loque philosophique que Laurent Pichat a enveloppé sa poésie. Il l’a roulée dans ce haillon… Fanatique de démocratie, fanatique d’orgueil de luimême, sous prétexte de respect et d’admiration pour la grandeur des facultés humaines que tous les philosophes prennent pour la grandeur de leur personne, Laurent Pichat n’a pas craint de mettre la poésie de son âme dans ce qui aurait dû la tuer, et il a osé dire à l’Imagination que le temps est venu de se taire devant la raison triomphante ! il faut donc commencer par l’affirmer hardiment : son livre des Réveils est, d’inspiration générale, le livre le plus sèchement philosophique, le plus antipoétique que je connaisse. Quand on l’a lu, quand on l’a fermé, quand on est loin et qu’on ne s’en rappelle que l’idée première, on le méprise, si on n’a que l’esprit droit, maison le hait, si on