Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/291

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Les attitudes naturelles de son esprit faisaient illusion sur sa vie. Cet homme de joie etde plaisir était, comme nous tous, un forçat de littérature, un homme de travail et de peine. Obligé au labeur de chaque jour, puisqu’ilétaitjournaliste, — un de ces Engoulevents de journalistes qui trouvent que le vent n’est pas un souper suffisant si l’on n’y ajoute quelque chose, — il fut l’esclave et la victime de cette publicité qui dévore le temps et ne permet pas de l’employer comme nous le voudrions, dans nos rêves et nos caprices ! Bénédictin du Journalisme, — car le Journalisme a ses bénédictins, qui font des in-folios dont le public ne se doute pas, et qui ont sur les in-folios la supériorité de ne se trouver jamais dans aucune bibliothèque, emportés qu’ils sont parla circonstance et bientôt oubliés comme elle, —ce Bénédictin trompeur, à airsde chanoine, n’a pas eu toujours le temps d’être poète largement, longuement, à pleine coupe, à bouche que veux-tu. Il ne l’a été que par veines rares ; il ne l’a été que par gouttes et par gouttelettes, retrouvées au fond de ce verre étroit qu’il a appelé ses Poésies complètes. Complètes ! une mélancolie encore, comme s’il avait su ne devoir plus jamais, jamais nous en donner…