Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/314

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le secret de leur magie ; car il y a deux facilités, et l’autre s’appelle la facile difficulté, — et c’est le trompe-l’œil des imbécilles ! Physiquement, au point de vue de sa construction métrique et rythmique, le vers de Saint-Maur est irréprochable, mais ce qu’il verse dans cette coupe ciselée et incrustée est encore plus beau que sa forme. Je l’ai dit : ce qui distingue le plus ce riche et plantureux poète, c’est le nombre des fibres de sa lyre et la grasse plénitude de leurs accords. Il a tous les tons, depuis le ton du Sonnet, ce soupir de flûte fait de quatre haleines, jusqu’au ton de l’Ode, au long souffle éclatant qui résonne et qui plane ; depuis le gémissement de l’Élégie, jusqu’à l’éclat de rire que Racine, le tendre Racine, avait aussi, quand, de la plume qui avait écrit Bérénice, il nous écrivait les Plaideurs. Fantaisiste enchanté que ce Saint-Maur, il nous peint un jour des portraits de femmes sur porcelaine, médaillons d’un contraste et d’un charme inouïs : c’est Sylvanie, Orphyse, Yseult, Myrto et Flavie, — mais celle-là peinte sur onyx ! Et un autre jour, il jette au Soleil et à l’Océan des strophes qu’eut admirées Pascal et dans lesquelles il aurait reconnu sa pensée. Un troisième jour encore, c’est le Date lilia qu’il chante, cette poésie dont la première partie, celle qui va jusqu’aux vers :

N’exigez pas de moi que je le remercie,

Ce Dieu qui m’a fait orphelin !