Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/340

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qu’il les chante, avec cette voix stridente qui semble ne plus sortir d’entrailles humaines, il a ce que Voltaire exigeait qu’on eût quand on jouait la tragédie : il a, positivement, le diable au corps. Il en a même deux : le diable de la musique et le diable de la mimique, et, tous les deux, tout puissants ! Mais le jeune sorcier qui a ces deux diablcs-là à son service, et qui les fait obéir comme l’autre sorcier faisait obéir son balai, n’a rien de sorcier dans son apparence. C’est un jeune homme de gracile élégance, de pâleur plus distinguée que sépulcrale, aux traits fins, beaux et purs. Mais tout cela flambe et se transfigure quand il est saisi par ces trois mains de la poésie, de la musique et de la mimique… et on ne le reconnaît plus ! Rollinat n’a rien dans le monde de l’air macabre de Paganini ni de la chevelure de Listz, qui semblait, Samson musical, jouer du piano avec ses cheveux. C’est, lui, le naturel dans l’étrange, si on peut dire de l’étrange qu’il soit naturel… et on ne se douterait jamais, en l’entendant parler des choses de la vie réelle, que c’est là un poète visionnaire !

Car il est visionnaire, et je crois même qu’il l’est comme jamais personne ne le fut. Certainement, ni Baudelaire, ni même Edgar Poe, d’un fantastique plus funèbre que Baudelaire, n’ont au même degré dans leurs poésies la sincérité de l’accent trembleur du visionnaire qu’a toujours dans les siennes Rollinat, ce hanté de tout et cet épouvanté de tout devant les