Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/60

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il ne fallait pas tant de petites choses grecques prises chez les Grecs ! Le mérite et la faculté des grands et vrais poètes, c’est l’assimilation rapide, c’est, avec un rien, l’éveil du génie. Deux vers de Malherbe ont fait La Fontaine. Deux vers d’Homère ou d’Asclépiade, la moindre fleur grecque enfin, pouvait faire tout André Chénier. Les vrais poètes ressemblent à ces femmes qui pour avoir respiré un parfum de violettes, en passant, sentent par la bouche la violette tout un jour. Il peut être intéressant aussi pour les Scaliger de la Critique pathologique comme Sainte-Beuve, de savoir qu’André Chénier avait la gravelle. Peut-être même Sainte-Beuve aurait-il recherché l’influence de la gravelle sur le talent. Il me semble que je l’entends ! Il nous aurait parlé de ces sables. Il les aurait mêlés aux grains de sable des notules. Mais, pour nous qui ne croyons pas à la thèse de ce pauvre Henri Heine, malade pour son compte bien avant de mourir, que tout homme de génie est nécessairement malade, nous n’avons rien à dire quand on nous apprend que Chénier le fut toute sa vie, sinon que nous en sommes fâché et voilà tout !

Un jour, on appela, dans les journaux du temps, le grand Mirabeau : « Riquetti ». Il dit : « Vous avez dépaysé l’Europe ! » La notice et les notules de l’édition qu’on vient de faire d’André Chénier dépaysent l’admiration et prosaïsent le poète. Était-ce donc bien la peine de les donner ?