Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1889.djvu/87

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Age, on peut s’étonner qu’il ait perdu une occasion de maudire et qu’il n’ait pas fait sortir de la cendre de l’Histoire et de leur bûcher ces Templiers, par exemple, — calomniés peut-être, mais la Calomnie fait des légendes aussi bien que la Vérité !… La Haine est une fière Muse, quand on l’a vraiment dans le cœur. Mais cette Muse-là, sur laquelle on pouvait compter, la Muse des Châtiments, est restée muette. J’admire assez Victor Hugo pour le déplorer. Du moins, s’ily avait pensé, la main qui aurait touché aux Templiers, n’eût-elle peint que leurs vices, aurait été de proportion avec eux. Elle ne nous aurait pas donné le Templier vignette anglaise, cette figure que Michelet, l’illuminé de Satan, reprochait à l’honnête Walter Scott de n’avoir ni empoignée, ni même saisie, mais prise avec l’extrémité de la pincette d’un sucrier. Et l’on voit par là que si Hugo a, dans sa seconde Légende des Siècles, remis ses pieds dans la trace de ses pieds imprimés si fortement dans la première, c’est qu’il n’avait pas l’imagination des choses autant que celle des mots. On voit qu’il pouvait y marcher d’une plus brave manière… Il y avait du chemin à côté.

Mais je l’ai dit, la distinction entre les deux imaginations devait être faite : Hugo n’a presque exclusivement que celle des mots. Il l’a au point que, bien souvent, il s’enivre d’eux jusqu’au vertige, et qu’il ressemble alors au Quasimodo de son invention, enfourchant la cloche de Notre-Dame et devenant fou du