Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/187

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des plus nettes et des plus tranchées, car les bénéfices du temps sont toujours une magnifique succession ouverte au génie, même à celui qui a le moins besoin d’hériter. Mais, il faut bien le reconnaître, il y a eu aussi, du côté du livre de M. Janin, une autre supériorité moins impersonnelle et moins fatale, qui venait non plus seulement des circonstances, mais du genre de talent de l’auteur et de la puissance d’imagination qu’il avait !


IV

En effet, la grande réserve maintenue, en faveur de Diderot, de la conception de ce Neveu de Rameau, qui est le type deviné de l’artiste moderne tel que nos décadences l’ont fait et montré, éblouissant et sinistre, dans ce qu’il y a de plus brillant et de plus abject, comparez, de ces deux Neveux de Rameau qui n’en font qu’un, celui que Diderot nous a peint et celui que M ; Jules Janin vient de nous peindre ! Ce sont deux portraits du même homme, et, vous le savez, c’est bien moins le mérite du modèle que l’art du peintre qui fait la valeur des portraits.

Eh bien ! le Neveu de Rameau de Diderot n’est que l’homme d’un café, du café Procope. Il est taillé juste à la grandeur de cet antre obscur, dont il égaie ou scandalise les pousse-bois, comme il les appelle, qui viennent y jouer leurs parties d’échecs : mais le même Neveu de Rameau, dans M. Janin, c’est l’homme du dix-huitième siècle tout entier, et il est taillé à l’affreuse