Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/196

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être la chute d’une cataracte ! Il n’existe point et il n’existera jamais de Cuvier pour recomposer les nuances sociales perdues, qui ne laissent pas d’os après elles, comme les animaux engloutis. Il faut donc les décrire tant qu’elles durent. Il faut les arrêter au passage, et c’est là le fait des romanciers, ces historiens des mœurs, bien plus profonds et bien plus éclairants, croyez-le, que les historiens de l’histoire !

Eh bien ! cette nuance sociale du paysan d’autrefois, qui dans chaque contrée va disparaître, M. Jules de La Madelène nous l’a donnée dans son Marquis des Saffras, pour son compte et pour celui de son pays. Provincial de naissance et d’éducation première, comme la plupart des esprits très-individuels, M. de La Madelène sait que la nuance sociale du paysan varie avec le pays où cette nuance existe, et il le sait trop bien pour avoir imité la faute de l’homme de génie qui, un jour, gâta un de ses plus formidables livres, en l’intitulant : Les Paysans. Lui, l’auteur du Marquis des Saffras, — mot patois qui dit, même avant que le livre soit ouvert, quelle est la variété de paysan à laquelle il a consacré ses facultés d’observation et de peinture, — lui donc, l’auteur du Marquis des Saffras, sait parfaitement qu’il n’y a pas plus de paysans en général que d’hommes en général, et que, quand on se sert de ce mot-là, fût-on Balzac lui-même, il faut ajouter une épithète au substantif et particulariser comme la nature.

En effet, vrai peut-être, s’il avait été intitulé, par exemple : Les Paysans des environs de Paris, et que l’auteur eût renoncé à ses paysages de Bourgogne ou les