Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

effets poignants des détails et n’en altère, pas la lumière. C’est de la plus complète beauté. L’émeute qui ouvre le fier roman de La Prison d’Edimbourg, ce chef-d’œuvre, est moins saisissante et moins terrible ; et ce n’est pas la seule attestation que l’auteur du Marquis des Saffras nous donne de sa haute aptitude à pétrir les cœurs populaires et à traduire avec une énergie digne d’elles les fortes passions qu’ils contiennent.

Dans ce roman, — qu’on pourrait appeler une immense tragi-comédie à tiroirs, et à tiroirs pleins de choses, — il y a un amour jeté là, en passant, cet amour exigé dans toutes les pièces françaises par l’imagination du public, mais cet amour n’est qu’une visée secondaire dans la préoccupation de l’auteur, sous la main duquel le vaste cœur compliqué des foules palpite mieux que les cœurs grêles de moineau de ses amoureux ! Certainement, c’est là ce qu’il y a de moins réussi dans Le Marquis des Saffras, c’est cet amour sans relief de Marcel et de Sabine, qui s’y perd et qui ne s’y perd pas assez.

M. de La Madelène est un de ces esprits qui n’ont pas besoin de l’amour, cette tyrannie des imaginations françaises, pour se montrer moraliste profond et peintre dramatique passionné. Il pourrait faire des livres comme en fit Godwin, cet homme viril. Seulement William Godwin a le sombre anglais, le regard noir, l’âpreté, la brusquerie, l’amertume. M. de La Madelène, lui, est un artiste d’une sérénité presque inaltérable. Il a le regard transparent, et peint la tête dans la lumière, y mettant la passion elle-même, dans cette lumière, quand il la peint furieuse et sauvage.