Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/213

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de lettres, quelques malades de lettres. Voilà tout. Ce titre en dit donc un peu trop dans son insolente généralité. Certainement MM. de Goncourt, qui sont très distingués d’âme et de manières, ne veulent insulter personne et ne se sont pas aperçus qu’ils pouvaient se blesser eux-mêmes sur leur titre : mais ce titre dans lequel la pensée déborde à côté est un signe en MM. de Goncourt, un signe qui les révèle tout entiers. Eux, ils sont de vrais jeunes gens de lettres. Ils n’ont pas la maturité. Ils n’ont ni la mesure ni l’exactitude, ni la justesse qui s’arrête à point. Puisqu’ils sont deux pour faire un auteur, l’un pourrait arrêter ou retenir l’autre ou l’avertir, mais non. Ils s’aiment et s’entendent trop.

Ils forment un attelage littéraire où l’esprit de trait va du même pas que l’esprit de brancard, et qui verse avec beaucoup d’ensemble et d’harmonie dans l’exagération de tout, — un envasement prodigieux !

Je n’ai jamais rien vu de pareil à celui de ce livre. Le livre, cette voie solide, droite ou tournante, de toute pensée qui va à son but, est ici défoncé à chaque pas par tout ce qu’on y charrie et ce qu’on y roule. Il crève, s’affaisse et disparaît sous les amplifications, les déclamations, les énumérations, les conversations, les descriptions, les descriptions de descriptions. Oh ! mais c’est affreux ! Il y a du talent cependant, — quelquefois beaucoup, — dans ce défoncement général, dans ce désastre dont les auteurs sont très-contents, très-heureux et fiers, fiers comme les postillons, enrubannés et ivres, d’une noce, qui feraient claquer leurs fouets, comme si de rien n’était, sur la voiture versée et leurs chevaux abattus ! Oui, il y a de l’esprit qui