Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/215

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et les souvenirs, ces tyrans charmants de leur pensée, Chamfort, Rivarol, Marivaux, Diderot et même M. Janin qui descend, comme on sait, de Diderot, mais du côté gauche, toutes ces influences, toutes ces dominations ont repris et enlevé au plan de leur livre, à la vérité sobre, à la nature humaine, ces messieurs de Goncourt, ces deux jeunes gens dont les uns disent : « C’est un Janin double », et les autres, « C’est un Janin dédoublé. »

Évidemment, ils ont glissé dans ce qu’ils aiment. Ils ont été entraînés au dialogue, au monologue, à la lettre, au mémorandum, à toutes les formes littéraires possibles, se succédant sans raison d’exister que la fantaisie, mais pour moi, je ne croirai jamais qu’ils aient songé à refaire ce roman de Balzac, qui ne se refera jamais, par la raison qu’on ne refait que ce qui est manqué, et dans lequel la vie littéraire du dix-neuvième siècle a été transpercée d’une lumière qui en a fait voir les plus lâches misères et les plus féroces vanités.

Comparez, en effet, Les Hommes de Lettres de MM. de Goncourt au Grand Homme de province à Paris, qui est le même sujet, avec des idées de plus et une distribution différente. Comparez-les à toute cette société puissante, idéale et réelle de Balzac, et réelle au même degré qu’idéale, quoique l’idéal dans Balzac atteigne à une telle élévation ou à une telle profondeur que les imaginations qui ne peuvent le suivre l’accusent de manquer de réalité ! Comparez cette variété d’intelligences qui représentent, sous les noms de Daniel Darthès, de Michel Chrétien, de Canalis, de Bianchon, de Nathan, de Bixiou, de Blondet, etc.,