Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/232

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Dans Le Mariage de Caroline, c’est la vieille fille encore, mais qui s’est donné la passion maternelle en vivant maternellement avec une nièce, et c’est la jalousie maternelle exaspérée dans le cœur de cette vieille fille, restée vieille fille pourtant par tous les autres cotés de son caractère, que M. Paul Deltuf a mise en scène avec une rare énergie et un tour comique et attendri tout ensemble, fait pour étonner, si M. Deltuf est jeune, comme je le crois. Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.

Les deux vieilles filles de M. Deltuf ne ressemblent pas à La Vieille fille de Balzac, qui est purement et profondément comique, éclairant de son comique un drame sombre. Chez les deux vieilles filles de M. Deltuf, le pathétique et le comique se combattent, mais il reste toujours la vieille fille idéale à nous donner, l’être fier et pur qui n’a pas trouvé un cœur digne d’elle et qui a accepté la tristesse du célibat sans en prendre les ridicules. Ce type de grandeur cachée, ce beau sujet à traiter pour un observateur profond, épouvante les écrivains en France, où le ridicule a tant d’empire : or, celui qu’on a jeté sur la position de la vieille fille est si grand et si officiel, qu’ils croiraient peut-être le voir rejaillir jusqu’à eux, s’ils considéraient seulement la vieille fille par les côtés touchants,