Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’eau-de-vie, le delirium tremens devenu homme jusqu’à ce que l’homme fût entièrement tué par le delirium tremens, faire de ces deux puissants génies malades une petite créature qui ne se porte pas trop mal, et qui nous trempe l’esprit comme une mouillette dans une mixture… sans inconvénient, n’est-ce pas un début magnifique ?

Mais jeune homme voulait dire autrefois impétueux ! L’imitation, nous le savons bien, c’est par là que l’homme débute dans la vie, mais, pour peu qu’il ait de la vie, il outre le défaut de son modèle, et cette outrance, c’est l’honneur de son esprit, car c’en est la promesse ! Quand Chateaubriand, à son début, imitait Rousseau, il était plus déclamatoire, plus faux que lui, plus ardemment morbide ; il élevait les défauts de Rousseau à leur plus haute puissance, mais c’était sur ces défauts exagérés et rejetés plus tard qu’il devait monter jusqu’à la hauteur de son propre talent, à lui-même. C’est par là, par cette furie de l’imitation qui ne peut pas rester dans l’imitation, qu’il marchait… à Chateaubriand !

Pourquoi M. Hector Malot n’a-t-il pas exagéré les défauts de quelqu’un, — n’importe qui, Balzac ou un autre ! — au milieu de tout le monde littéraire qu’il rappelle ?…

Pourquoi M. Erckmann-Chatrian n’a-t-il pas essayé de forcer ou d’affoler un peu plus le fantastique d’Hoffmann ou de Poë ?… Nous l’aurions préféré, nous l’aurions constaté avec joie. C’eût été l’espoir de la sève. Mais la vie, où est-elle ? De l’imitation consciencieuse qui veut être habile, de l’imitation qui est même parfois réussie dans la dégradation de ce qu’elle imite…