Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/295

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être une grande œuvre humaine, malgré la monstruosité du sujet ? Le Génie a de si glorieuses manières de nous surprendre et de déconcerter nos prévisions ! Mais, il faut bien le dire, il n’y a pas encore, en ce moment, de pareille œuvre dans la littérature du dix-neuvième siècle, et, quand la Critique se pose cette question-là, elle se fait l’effet de se pencher sur le bord d’un gouffre…

Seulement, disons que, quoi qu’il en puisse être et quoi qu’on puisse penser du génie, qui n’a pourtant jamais dit, et qui ne dira jamais le mot de ce fat de Calonne à une femme, et qu’il trompait encore ! « Si ce n’est qu’impossible, cela se fera », la part de la physiologie dans le roman, cette part dont nous parlions au commencement de ce chapitre, demandera toujours, en tout état de cause, au romancier qui voudra la faire, une grande réserve, une prudence profonde, et en sûreté de lui-même, ce que je nomme la souveraineté de la main.

En effet, même là où j’approuve et où j’apprécie l’influence de la physiologie sur le roman, dont elle sera, dans le monde moderne, une des gloires, je dirai que, même là, il ne faut procéder qu’avec des précautions infinies, car savez-vous de quoi il retourne ? Il retourne du roman lui-même, qu’il ne faut pas tuer sous prétexte de le grandir. J’ai cité Shakespeare, et je disais quel parti ce foudroyant intuitif avait su tirer dans Macbeth du phénomène somnambulique, de ce phénomène obscur encore aujourd’hui, et qui de son temps l’était bien davantage. Mais voyez avec quelle sobriété pleine et forte Shakespeare use de ce moyen physiologique à outrance pour arriver