Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/332

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Admettez qu’avec cette supériorité de donnée première, la femme de chambre des Mémoires en question fût un brin de fille… de génie, comme par exemple la Suzanne du Mariage de Figaro, quel ouvrage délicieux n’auriez-vous pas en perspective ! Quel livre pétillant, frétillant et émoustillant, pour les curiosités les plus froides et les plus rassises ! Malheureusement, il n’y a que ceux qui inventent des Suzannes qui puissent écrire leurs Mémoires, et il ne pleut pas des Beaumarchais ! Un jour, il est vrai, un seul jour de ce siècle, nous eûmes mieux que Beaumarchais, puisque nous eûmes Balzac. Mais le grand observeur, dont un pareil sujet chaussait admirablement les facultés incomparables, mais cette tête qui pensait à tout ne pensa point précisément à ces Mémoires d’une femme de chambre, qui auraient si bien trouvé la place d’un chef-d’œuvre de plus parmi les chefs-d’œuvre de La Comédie humaine, et il nous a laissé, à nous qui vivons après lui, l’occasion de bénéficier, si nous pouvons, de cette distraction de son génie.

Oui, les Mémoires d’une femme de chambre ! On peut se demander qui est capable d’écrire un livre comme celui-là dans l’état présent du personnel de la littérature ? Eugène Sue, qui avait des reins, Eugène Sue, ce portefaix littéraire, a manqué les Mémoires d’une institutrice, encore un titre plein de choses, un type et un sujet heureux ! Mais les Mémoires d’une femme de chambre, c’est-à-dire de la femelle de ce genre d’animal dont on a dit le mot resté proverbe : « Pour un valet de chambre, il n’y a pas de héros » (et, vous le savez, la femelle de toutes les espèces est, en fait d’observation, de finesse et de tact, bien au-dessus de tous