Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/345

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vie. M. Prosper Mérimée a eu le bonheur de naître à la littérature en cet instant, qui sera probablement unique dans l’histoire du dix-neuvième siècle, où la France, lasse de guerre et de politique, sembla vouloir changer de gloire, et se retourna vers les choses de l’esprit avec cette furie française qui n’a d’égale que les mollesses qui la suivent. M. P. Mérimée fut de la première levée romantique, et à dater de son théâtre de Clara Gazul, — une suite de romans dialogués plutôt que de drames, — il devint immédiatement un des esprits les plus en vue et dont la Critique espéra davantage. Comme presque tous les romantiques qui, en parlant beaucoup d’originalité, imitèrent plus ou moins quelque chose, M. Mérimée s’était teint, avec ou sans dessein, de littérature étrangère. Le Théâtre espagnol fut pour lui ce que le Théâtre anglais fut pour d’autres… Où l’originalité pure, cette tête de Gorgone pour l’esprit français, n’aurait pas réussi, M. Mérimée, avec des reflets de littérature étrangère transportés avec art et surtout avec ménagement, obtint dans la littérature de son pays une originalité relative, et ce succès de nouveauté qui est au succès du talent ce qu’est à un cerf-volant brillant et bien construit le fort coup de vent qui l’emporte. Seulement, n’oublions pas cette particularité : si M. Mérimée ressemblait à la plupart des esprits de son temps (j’excepte Balzac) par le manque d’originalité intrépide, il ne ressemblait nullement aux autres esprits de cette époque ardente, dont l’exubérance était la qualité, et l’exagération, le défaut. Lui, fut peut-être le seul sobre dans cette littérature enivrée. Il le fut naturellement, comme le chameau le serait