Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/42

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Être le premier dans une bicoque plutôt que le second à Rome. » Ce fut le mot de Lamennais dans le genre superbe ; ce fut celui d’Eugène Sue dans le genre pittoresque, car son ambition avait ce caractère. L’homme en lui était prodigieusement extérieur ! — Vous rappelez-vous ces deux cités de saint Augustin, — la Cité de Dieu et la Cité du Diable, — ces deux camps tranchés et retranchés dont l’idée, à part la vérité théologique, serait encore une simplification sublime de l’histoire de l’humanité ? A Paris, le résumé du monde, à Paris plus qu’ailleurs, cette double cité se dessine, et M. Eugène Sue en fit l’expérience. Il habita tour à tour les deux camps, un instant celui de Rome où de Maistre avait paru, et plus longtemps celui du village où n’existait plus que Lamennais. Il y eut deux parts dans sa vie, et la critique doit bien les marquer. L’auteur du Juif Errant et des Mystères de Paris commença par être antiphilanthrope, aristocratique à se faire lapider par les égalitaires ; artiste, oh ! artiste de prétention avec furie, légitimiste, moyen âge, « anticanaille » enfin, comme il le disait. Il avait alors le dandysme de l’impopularité, qui est une manière d’être populaire. Lisez ses romans de cette époque ! C’est une Aspasie insolente, falbalas ébouriffants, crinoline millionnaire, avec tous les diamants de la couronne dans les cheveux ! Fastueux comme un fermier général, cet homme de palette, — car M. Eugène Sue a une éblouissante palette, ce qui ne suffit pas pour être un grand peintre, — la mettait partout, jusque dans sa livrée. Il avait une livrée, en effet, originale et voyante, toujours prête, à son moindre gîte, et il regrettait