Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/49

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un dieu couronné, sur toutes les traînes du Berri et sur toutes les Mares au diable, MM. Michel Masson et Raymond Brucker. Seulement il faut aujourd’hui le rappeler, au moment où ils prirent pour champ d’analyse et de peinture les mœurs populaires, ils étaient, l’un et l’autre, dans cette ébriété Je jeunesse qui se grise même avec de l’eau claire et oui la croit pure, quand elle est sale. L’un et l’autre appartenaient à ces idées dont est sorti 1830, à ces idées qui ont passé, comme une trombe, dans tous les esprits de leur génération, et qui ont fortifié, en le secouant, le chêne des uns et déraciné celui des autres. Ils appartenaient à ces idées…, mais ils appartenaient aussi, et par leur destinée et par les premières observations de la vie pensante, qui forment, pièce à pièce, la mosaïque intérieure de notre génie, à ce peuple dont ils avaient à traduire les sentiments, le langage et les inspirations ! Leur main d’ouvriers (ils l’avaient été) avait reposé longtemps sur le cœur qu’ils voulaient scruter. Bourgeois de fausses lumières et d’éducation intellectuelle, peuple par l’instinct et par la fermeté de l’observation, ils se fendaient au centre même de leur être, et leur ouvrage porta l’empreinte de ce déchirement de leur esprit. Les idées de la bourgeoisie de ce temps y alternent avec les sentiments du peuple. Aussi est-ce par là qu’il faut expliquer les qualités du livre et ses vices. En effet, si les auteurs avaient vécu là où ils étaient parfaitement placés pour observer ce qu’ils voulaient peindre, s’ils avaient de l’âme, s’ils avaient de cette fougue sensible, l’écume du talent qui va s’étendre, comme la vague, en se purifiant, ils n’avaient pas les notions