Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/64

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qui ne fut point un écrivain dans le sens notoire et officiel du mot, — qui n’en eut ni les mœurs, ni les habitudes, ni l’influence, ni l’attitude devant le public. Rareté charmante, du reste, dans un homme qui pourtant s’est mêlé d’écrire, — dont le talent n’a pas fait la vie, mais dont la vie, au contraire, a fait le talent.

Or, c’était cette vie justement qu’a révélée, du moins en fragments, la Correspondance. C’était cette vie que la critique a pu consulter pour expliquer un talent bizarre souvent, mais incontestable, trop grand pour n’être pas compté dans la littérature contemporaine. Certes, nous, autant que personne, nous connaissons et nous flétrissons les côtés mauvais et gâtés de Stendhal. Nous savons d’où il était sorti et où il est allé, ce dernier venu du XVIIIe siècle, qui en avait la négation, l’impiété, l’analyse meurtrière et orgueilleuse, qui portait enfin dans tout son être le venin concentré, froidi et presque solidifié de cette époque empoisonnée et empoisonneuse à la fois, mais qui, du moins, n’en eut jamais ni la déclamation ni la chimère ! Stendhal est l’expression la plus raffinée et la plus sobre de ce matérialisme radical et complet dont Diderot fut le philosophe et le poëte. Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du XVIIIe siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. Quoi qu’il ait été par les opinions et par les principes, intellectuellement Stendhal fut un homme, et c’est assez pour que la Critique s’en occupe dans un intérêt littéraire, et même dans un intérêt de moralité.