Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/68

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est perdue ! La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue… Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde, que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. Stendhal, malgré l’énergie d’un esprit dont la principale qualité est la vigueur, a subi, comme les plus faibles, cette tyrannie des habitudes de la pensée. Quelle que soit la page de sa correspondance qu’on interroge, il y est et il y reste imperturbablement le Stendhal du Rouge et Noir, de La Chartreuse de Parme, de l’Amour, de la Peinture en Italie, etc., etc., c’est-à-dire le genre de penseur, d’observateur et d’écrivain que nous connaissons. Ici ses horizons varient ; ils tournent autour de lui comme la vie de chaque jour que cette Correspondance réfléchit ou domine ; mais l’homme qui les regarde, qui les peint ou les juge, n’est pas changé.

C’est toujours cet étrange esprit qui ressemble au serpent, qui en a le repli, le détour, la tortuosité, le coup de langue, le venin, la prudence, la passion dans la froideur, et dont, malgré soi, toute imagination sera l’Ève. C’est toujours (non plus ici dans le roman, mais bien dans la réalité) ce Julien Sorel (du Rouge et Noir) « au front bas et méchant » que les femmes, qui se connaissent en ressemblance, disaient être un portrait fait devant une glace, quoiqu’il leur parût un peu sombrement