Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/82

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C’était justice, du reste. La Vogue, cette badaude et cette sotte, n’avait rien à voir dans ce succès franc et mérité. Parmi les productions d’une littérature de copiage, parmi tous ces romans, issus plus ou moins de Balzac ou de Stendhal — les seuls romanciers d’invention et d’observation de ce siècle, — un livre qui avait de l’accent, de l’originalité, une manière tranchée — tranchée même jusqu’à la dureté — devait frapper les connaisseurs, et telle a été l’histoire — l’histoire instantanée de la Madame Bovary de M. Flaubert. — Selon nous, jamais succès ne fut plus juste. Il avait les deux raisons fondamentales des réussites qui doivent durer. Le livre valait mieux que les autres livres contemporains du même genre, et de plus il avait une valeur en soi. Ce n’était pas le borgne du royaume des aveugles. Il avait ses deux yeux et même on pouvait les trouver beaux, quoiqu’ils fussent moins beaux que sévères, et que l’imagination — cette faculté — il faut le rappeler à M. Flaubert — pour laquelle les romanciers écrivent aussi, ne puisse jamais les regarder comme une femme amoureuse, pour s’en éprendre et y rêver ! C’est un livre, en effet, sans tendresse, sans idéalité, sans poésie, et nous oserions presque dire sans âme, si l’intelligence ne faisait pas partie de l’âme humaine et n’en constituait pas la plus fière moitié. La Madame Bovary de M. Flaubert n’est pas un roman comme Caleb