Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/92

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mensonges et la trahison ! Elle décide Bovary, le consentement perpétuel, à l’envoyer à Rouen toutes les semaines prendre des leçons de musique, et ces leçons ne sont qu’un prétexte pour vivre secrètement avec Léon. Plus audacieuse parce qu’elle est femme, et qu’à égalité de corruption la femme est toujours la plus avancée et la plus endurcie, elle entraîne Léon maintenant comme elle avait été entraînée par Rodolphe. Elle est l’homme de cette nouvelle intimité.

Léon est une âme médiocre, c’est une variété de lâche qui a bien son mérite après M. Boulanger de la Huchette. La vie en commun qu’il mène avec cette maîtresse, exigeante de passion, exigeante de caprice, et, par dessus le marché, exigeante des raffinements de l’existence matérielle, l’oblige à des dépenses qui menacent sa fortune et compromettent son avenir. Il en a le souci parfois. Elle s’en aperçoit et l’en raille. Elle ressent pour lui un peu de ce mépris sous lequel elle a enterré Bovary dans son cœur, mais ce mépris qui profane l’amour ne l’éteint pas. Elle qui, toute misérable qu’elle soit, vaut mieux que les hommes qui l’ont salie, sait se ruiner et ruiner son mari sans qu’il y paraisse à son visage, quand elle le tend aux baisers de son faible amant ! Elle emprunte, en effet, elle dépense, elle prend à usure, elle abuse de la procuration que la confiance de Bovary a mise entre ses mains, et lorsque tout est mangé, dévoré, englouti, qu’il n’y a plus de ressources, que les meubles de l’officier de santé sont saisis, elle se glisse furtivement chez le pharmacien, y avale de l’arsenic à poignées et meurt ; heureusement, faut-il dire, car si elle ne s’empoisonnait pas ce jour-là, un autre jour elle