Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/98

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Balzac, dont le nom surgit fatalement quand on parle des romanciers du XIXe siècle, — mesure terrible qui montre combien ils sont petits en comparaison de cette grandeur, — ne fut point de cette Académie, dont la porte, à peine poussée par M. Sandeau, qui n’a jamais rien poussé bien fort devant lui, a tourné moelleusement sur ses gonds sans les faire crier, ni personne. M. Jules Sandeau est un esprit doux, et il vient de prouver une fois de plus que c’est aux doux qu’appartient l’empire de la terre. Quand la terre, en effet, a été un peu culbutée, quand les vrais inventeurs, les énergiques du moins, ont remué le sol autour de nous et nous ont causé la fatigue de la nouveauté et de la variété des points de vue, alors les esprits comme M. Jules Sandeau apparaissent, et ils sont les bienvenus !

Ils nous détendent et nous défatiguent… en ne nous fatiguant pas. Ils sont le verre d’eau à la fleur d’orange qu’on boit, le soir, après les karricks indiens et le porto gingembre d’un dîner vif. Ce n’est qu’un verre d’eau, mais qui a des qualités d’eau et qui vient à temps. Grande affaire ! Quand la lumière, mal distribuée, mal ménagée, mal tamisée, a été, tout le jour, âpre et dévorante, les esprits comme M. Jules Sandeau nous donnent la sensation des lunettes bleues et empêchent l’ophthalmie. C’est un garde-vue. Ils sont sains… Ils nous apportent beaucoup de rafraîchissement, peu de lumière, et la paix ; — et, pour la peine qu’ils n’ont pas eue en nous donnant tout cela, tout leur est de velours, même les gonds de la porte des Académies. Quand la société (j’entends la société qui lit) a soixante-dix ans, comme l’a dit Stendhal, et