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Page:Barbey d’Aurevilly - Lettres à Trébutien, II, 1908.djvu/288

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St-Sauveur-Ie-Vîcomte, Samedi 3 heures. 12 septembre 56.

Mon cher Trebutien,

C’est moi enfin I Voici une Dominicale. Mais vous ne l’aurez pas à l’heure de votre thé. Ne m’avez-vous pas autorisé à vous écrire quand je le pourrais, n’importe l’heure ? Or, mes moments passent à travers un crible ! Le vortex de Paris n’est que de l’eau claire, — tranquille et dormante, — en comparaison du tourbillonnement d’ici. Relations de famille, visites à faire, visites à recevoir, présentations (car mon père a la coquetterie de me montrer), écart sur la côte de Carteret {nous en arrivons, Léon et moi), voilà ce qui a dévoré, depuis que je vous ai quitté, toutes les minutes de mon temps… J’avais emporté des articles à faire ici, — comme à ma chère Bastide, — mais les tyrannies aimables de mes parents m’ont empêché d’ouvrir un livre et d’écrire autre chose que des réponses.

Mes parents m’ont reçu… comme vous le pensiez, mon ami. Mon père, qui a une belle vieillesse, et que Léon m’a complètement ramené, est très aimable, très doux, très discret, d’une paternité vraiment touchante. Ma mère… ah ! ma mère, elle s’anime pour moi encore et cela me touche jusqu’aux larmes ; mais, mon ami, ce n’est même plus un débris d’elle-même. Ce n’est plus même son cadavre, oublié sur le bord de sa tombe ; — le cadavre de ce qu’elle fut serait une chose imposante et belle ! et beauté, intelligence,