Page:Barbey d’Aurevilly - Poussières.djvu/13

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Et voilà, vieux Soleil, pourquoi mon cœur t’abhorre !
Voilà pourquoi je t’ai toujours haï, Soleil !
Pourquoi je dis le soir, quand le jour s’évapore :
« Ah ! si c’était sa mort et non plus son sommeil ! »
Voilà pourquoi je dis quand tu sors d’un ciel sombre :
« Bravo ! ses six mille ans l’ont enfin achevé !
L’œil du cyclope a donc enfin trouvé dans l’ombre
La poutre qui l’aura crevé ! »

Et que le sang en pleuve, et sur nos fronts ruisselle,
À la place où tombaient tes insolents rayons !
Et que la plaie aussi nous paraisse éternelle
Et mette six mille ans à saigner sur nos fronts !
Nous n’aurons plus alors que la nuit et ses voiles,
Plus de jour lumineux dans un ciel de saphir !
Mais n’est-ce pas assez que le feu des étoiles
Pour voir ce qu’on aime mourir ?…

Pour voir la bouche en feu par nos lèvres usée
Nous dire froidement : « C’est fini, laisse-moi !! »
Et s’éteindre l’amour qui, dans notre pensée,
Allumait un soleil plus éclatant que toi !