Page:Barbey d’Aurevilly - Rhythmes oubliés, 1897.djvu/53

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pensée. Mais je me jurai d’être son Justicier, à lui le Méconnu, et le bourreau de cette Vanité sans cœur, qui n’avait rien compris au véritable amour d’un homme ! Seulement trop intelligent pour être atroce, je sentis bien que je devais rapetisser mon rôle de bourreau et mettre le supplice de taille avec elle. Si, au Moyen-Âge, on appliquait une croix brûlante sur les fronts condamnés, je n’avais point à prostituer le luxe cruel d’une croix d’acier à ce front sottement philosophe. Quelques gouttes d’encre — de cette encre qu’elle avait aimée — suffisaient pour couvrir ce front d’un ridicule ineffaçable, et joyeusement je l’en tatouai ! Je l’en tatouai en attendant le moment vengeur et qui viendra bientôt, où laide, vieille, abandonnée, cette Escarbagnas roturière de la Pédanterie, sur la tête de qui l’amour d’un Poète aurait déployé un pavillon semé d’étoiles, — un tabernacle d’intimité pour sa vieillesse, — ne sentira plus dans sa vanité humiliée et solitaire, que les morsures envenimées de ces brodequins de force dont l’idée la faisait blêmir de terreur quand nous en parlions devant elle, et qui s’appellent : les Bottines bleues !

Avril 1855.