Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’il lui eût plu de fouler cette eau, qui roulait sa mort sous ses pieds.

— Elle devient de plus en plus visionnaire, — dit-il à sa fille et à Néel ; et il se mit à ramer pour retourner à l’anse d’où ils étaient partis, lorsque tout à coup ils virent revenir jusqu’au bord qu’elle avait quitté la grande Malgaigne. Elle n’était plus calme, mais elle était toujours majestueuse. Elle avait la main étendue vers Calixte qui s’éloignait.

— Calixte Sombreval ! — cria-t-elle, — si vous aimez votre père, empêchez-le de remettre jamais les pieds sur l’étang qui vous porte, car, je le jure sur mon âme éternelle, il ne les y remettra que pour y périr !

Malgré la raison de Calixte dont avait parlé Sombreval, une transe horrible passa dans ses yeux et en fit battre les paupières. Plus pâle, la pauvre enfant ne pouvait pas le devenir… « Oh ! revenons vite ! » — dit-elle avec un frisson… et ils revinrent. Sans doute, quand Néel fut parti, cette fille à laquelle il ne pouvait rien refuser obtint de son père la promesse qu’il n’eût pas faite à la Malgaigne, car, à partir de ce jour-là, on ne le revit, ni elle, ni lui, ni personne, sur l’étang verdâtre du Quesnay ; et la barque qui les y avait portés, pourrissant tristement à son éternel ancrage, fut bientôt rongée par les eaux.