Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/196

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sez s’il y avait du monde à voir cette affreuseté ! On s’y écrasait et l’on y vint de toutes les paroisses environnantes. Au matin de ce jour, la Travers, qui était comme folle depuis le commencement du procès, me dit : « La Malgaigne, veux-tu y venir ?… » — et nous y allâmes comme les autres.

C’était sur la place du Marché, qui n’est pas bien grande, comme vous le savez, monsieur Néel : mais, ce jour-là, on y aurait jeté une épingle par les fenêtres qu’elle ne serait pas tombée à terre. Moi, qui suis haute, je voyais par-dessus les autres, mais cette pauvre boiteuse de Travers, qui était petiote, n’eût rien vu, elle, sans Houivet, le sergent, qui la mit sur la croupe de son cheval, plus morte que vive, mais obstinée à voir, fascinée !

Au coup de midi, le condamné sortit de prison, accompagné de son confesseur, l’abbé de Neufmesnil, l’aumônier de l’hôpital de S… Ils l’avaient dépouillé de son habit blanc, et il marchait, en chemise, avec ses grandes guêtres noires par-dessus le genou — je le vois encore — un peu pâle et pas si braque que quand il était accoudé sur la table à Travers, mais cœuru pourtant. Il me fit grand’pitié.

Il était silencieux comme on disait qu’il l’avait été pendant toute la durée de son jugement, qu’il avait fallu lui arracher les paroles