Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/222

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par la tristesse du phénomène, et d’un phénomène qui était une croix !

Inexprimable fut ce qu’avait éprouvé Néel de Néhou en face de ce front, délié, pour la première fois, de sa bandelette de victime. Les entrailles du chrétien furent tout à coup remuées en lui avec tant de force, que l’émotion qu’il avait toujours auprès d’elle lui fit l’effet de disparaître dans une émotion inconnue.

Ils étaient assis sur le bord d’une auge de granit fendu, reste d’une vieille fontaine en ruine où venaient boire, en vagabondant tristement hors de leur enclos, les génisses des pastous[1] voisins. L’émotion colorait toujours d’un ton plus vermeil la croix du front de Calixte, comme on raconte qu’elle colorait aussi d’un ton de sang plus âpre cet autre signe de naissance, cette épée que Wallenstein portait à la joue. La pauvre enfant était tout émue de dévoiler le signe étrange qui la marquait entre les autres créatures, et lui, Néel, il était presque épouvanté de le voir ! Il la contempla longtemps, elle et son front nu, en silence, avec une religieuse pitié. Chose singulière ! il se trouvait plus religieux qu’amant devant cette croix qui semblait se dresser, sur la limite de ce front, entre l’âme et le corps de

  1. Endroit où l’on mène les bestiaux à paître.