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Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/250

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Il marcha vite, sous le fouet et l’aiguillon de ses pensées. Le jour, qui dans cette saison n’a pas de crépuscule, tombait vite sous ce long ciel gris, et il se demanda si la Malgaigne, la grande fileuse de toutes ces paroisses, serait rentrée de sa journée à une heure si peu tardive… Il était à présent un habitué de sa bijude[1]. Il y avait entre elle et lui cette amitié, singulière et commune pourtant, qui peut exister entre la jeunesse aveugle et la vieillesse clairvoyante. La Malgaigne l’avait saisi par l’imagination depuis la scène de l’étang et l’histoire du Rompu. Mais il l’aimait surtout (ô passions, vous êtes toutes les mêmes !) parce que la prédiction de cette femme, toute terrible qu’elle fût, l’avait lié à Calixte, comme la main fatale de l’esclave lie les deux amants dans le sac où ils vont mourir au fond du Bosphore.

Néel voyait son sort dans cette image. Il aurait baisé la main de l’esclave… « Nous mourrons, pensait-il, mais nous mourrons entrelacés… » Il s’intéressait encore à la Malgaigne, parce que Calixte s’était mise à aimer aussi cette vieille femme qui avait servi de mère à son père. Quoi qu’eût pu faire la jeune fille, la Malgaigne, qui avait ses idées, comme

  1. Petite maison à toit de paille et à murs d’argile.