Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/52

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s’il n’eût pas mis dans les yeux de Calixte ces cruelles larmes que lui, Jean Sombreval, ne pouvait oublier et qu’il avait vues jaillir contre lui des yeux de la malheureuse mère ?…

Telle est la raison qui fut plus forte que la volonté de Sombreval et qui lui fit tendre passivement le cou, comme le taureau du sacrifice, à cette première atteinte de la destinée. Il fut travaillé d’une transe éternelle… D’un jour à l’autre, l’âme de son enfant, — de sa chère enfant, — pouvait moins adhérer à la sienne. Elle pouvait tout à coup lui être arrachée !

Depuis qu’elle existait, il avait tremblé, bien des jours, bien des nuits, en voyant combien peu cette pauvre plante humaine plongeait de racine dans la vie ; mais ici, il ne s’agissait plus de la santé, de la vie et du corps : il s’agissait du cœur, et l’inconséquent matérialiste souffrit plus de la crainte de perdre l’affection de son enfant que son enfant tout entière ! Que de fois il la pressa sur son cœur avec une irrévélable angoisse, comme un homme blessé qui perdrait ses entrailles et les retiendrait avec la main !

Baignée dans la joie d’être chrétienne, Calixte faisait sans cesse intervenir l’idée de Dieu entre elle et son père. Elle avait des mots qui entraient dans l’âme de Sombreval comme des dards. Elle avait d’impitoyables tendresses.