Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/5

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans autre observation, — mais du seuil de la porte ouverte, il avisa le boulanger Vigo, qui passait, en manches de chemise, un mousquetaire[1] sous chaque bras.

— Psitt, Vigo ! — fit-il, — de qui peut-elle être en deuil, la Malgaigne, qui n’a jamais eu ni père, ni mère, ni mari, ni enfants, ni oncles, ni tantes, ni cousins, ni cousines ?…

Vigo était ce que l’on appelle « un luron » de cinquante à cinquante-cinq ans, au large dos, élargi encore par l’habitude de porter au four la pâte de tous les pétrins du bourg de S…, et qui, en souvenir des succès et des bonnes fortunes de sa jeunesse, avait gardé un énorme catogan qu’il n’avait pas besoin de poudrer avec la fleur de farine dont il était ordinairement couvert ; joyeux compagnon, gris comme une ardoise, mais faraud ; accoutumé à rire et à jocqueter avec toutes les commères de son four, et plus commère qu’elles, le compère !

— Ni enfants ! ni enfants ! — dit-il de sa basse-taille mordante au teinturier qui suspendait, avec une longue fourche, une pièce de laine bleue au clou de sa porte, pour la faire sécher. Vous n’en savez rien, ni moi non plus, père Brantôme ! Elle a dû être un fier brin de fille dans son temps et elle allait filer dans les

  1. Morceau de pain de plusieurs livres.