Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/54

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La pente par laquelle son âme se précipitait plus encore que son cheval vers ces murs, aimantés par l’amour, était d’autant plus irrésistible que, dans cette âme, inextinguiblement ardente, le désir fou d’être aimé était avivé par le malheur de ne l’être pas. C’était fini ! Il sentait bien qu’il n’était pas aimé… Il avait joué sa grande partie, et il avait perdu. Il n’était pas mort et il n’était pas aimé davantage. Calixte était pour lui la carmélite, cachée et invincible, qui n’aimait que Dieu et son père ; et lui, Néel, n’était que le troisième dans sa vie. — Il n’était, hélas ! que la troisième de ses préoccupations !

Et justement, depuis quelques jours, elle le lui prouvait un peu plus. Calixte voyait sur le front de son père, ce siège d’une pensée, d’ordinaire si sombre pour tous, mais si lucide pour elle, quelque chose de plus noir et de plus agité que de coutume et qui n’était pas l’éternelle anxiété de la science aux prises avec le problème dont elle, Calixte, devait être la solution !

— Ne trouvez-vous pas, Néel, — lui dit-elle une après-midi, — qu’il y a quelque chose d’inaccoutumé sur le visage de mon père ?… Lui, si fort, il n’est triste jamais que quand je souffre, et je suis bien mieux. Il y a longtemps que je n’ai eu une de mes crises.